Article sur “la fabrique de l’ennemi: construire son storytelling” dans le Huffingtonpost

 

“La fabrique de l’ennemi tourne à fond”, signe du grand retour des mythes

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Petit cours de Storytelling appliqué

En politique comme en marketing, on ressent comme une nouvelle crispation. Le monde occidental, censé s’être débarrassé de ses ennemis en 1990 avec la chute du mur les retrouve dix ans plus tard et les cultive désormais. En marketing aussi, la bataille des marques devient également plus frontale. Désormais les lieux se constituent en marques et se cherchent aussi “des ennemis [1]”.

Le monde occidental cultive à nouveau ses ennemis Daech, La Russie, le péril économique chinois…Et il en trouve. Le “bon président Obama” n’hésite plus dans un ton “bushiste” à parler à propos de l’assassinat de Peter Kassig d'”acte de mal absolu” [2].

Le monde est passé, tout comme les entreprises et les marques commerciales de la notion de concurrents à celle d’ennemis. Un concurrent est celui qui utilise les mêmes règles que vous. Les concurrents se ressemblent même lorsqu’ils se combattent sans répit. Les ennemis présentent une vision du monde diamétralement opposée. Ils ne veulent et ne peuvent que chercher à vous détruire en s’éloignant “des règles du jeu” habituelles. D’un côté, on trouvera toutes les nuances du gris, du bleu, du vert, de l’autre ce sera tout blanc ou tout noir.

Daech et ses décapitations publiques à la chaîne mises en ligne scénarise sa “fabrique de l’ennemi”, la transforme en images pour recruter de nouveaux adeptes fascinés par ces nouvelles vitrines de la terreur. Tout blanc ou tout noir!

Toutes proportions gardées, Poutine fait de même. Il scénarise sa calme fermeté en Ukraine. Sa résistance affichée à l’occident suscite dans les médias des oppositions farouches mais également des défenses appuyées. Comme au temps de la guerre froide. Blanc ou noir!

Dans le royaume enchanté des “soft drinks”, des boissons plus ou moins sucrées, il y avait des concurrents, des goûts différents avec plus ou moins de nuances. Il y a désormais une bataille frontale entre Coca-Cola, la petite “fabrique du bonheur” [3] et Red Bull celle de l’extrême, voire de l’horreur des jeux du cirque. Good boys contre bad boys! On est loin d’une bataille de tête de gondoles dans cette vision des deux faces opposées du bonheur: le monde de l’enfance, de l’innocence, du paradis perdu face à celui du risque assumé et de la lutte à mort…

Les lieux deviennent des marques que tout oppose dorénavant sur l’essentiel: Ile de Ré ou Abu Dhabi en quête de calme contre Saint-Tropez et Dubaï cultivant la fureur.

Dans le monde scientifique aussi, cela se vérifie: malgré la présence quasi continue des chercheurs raisonnables du GIEC dans les grands médias, les climato-sceptiques se montrent de plus ou plus virulents, paysans en tête.

Partout, deux visions du monde s’expriment avec véhémence, souvent avec violence. Comme dans l’usage des Tweets…où les internautes se font face dans un dialogue sans concession.

Le storytelling, grand retour des mythes et des oppositions binaires

On peut le regretter mais le “logos” (la raison chère à Platon et à la philosophie occidentale) cède désormais sa place au “muthos”, l’art de raconter deux visions contraires du monde. La pensée magique du net n’est peut-être pas étrangère au phénomène. Une fois de plus, dans les périodes d’inquiétude, la raison n’est plus assez forte face aux images et aux imaginaires inquiets.

Voilà pourquoi, on parle tant de storytelling. Certes l’histoire qui raconte a plus d’impact que l’histoire qui démontre. Mais le storytelling n’est pas uniquement l’art de raconter de belles histoires. Il exprime l’art de positionner une cause en face d’une autre, de créer un affrontement entre le bien (l’endroit, le lieu géographique, sociologique ou psychologique où l’on se situe) et le mal: le lieu, les idées et les gens d’en face. Il veut d’abord convaincre de la justesse de la cause.

Le storytelling est l’expression d’une opposition de situation quasi “géographique”. La Russie, l'”état” islamique avec leurs zones tampons, l’Ukraine, l’Irak… en sont de bons exemples.

Construire son storytelling revient à d’abord définir l'”ennemi” venant d’en face: l’homme de la montagne face à celui de la plaine, celui du dedans contre celui du dehors, le nomade contre le sédentaire, le marin contre le terrien…

A l’issue de vingt ans de recherche sur le sujet, on peut considérer avec d’autres mythologues que depuis l’origine de la narration humaine, celle des grottes préhistoriques et des récits fondateurs seuls 24 mythèmes ont été développés par l’esprit humain pour exprimer ses angoisses et ses espoirs.

Ces mythèmes reposent sur trois types d’opposition: de nature comme vivant/mort, masculin/féminin, d’attitude comme passion/raison, amour/haine ou de comportement comme Fidèle/infidèle, artiste/artisan.

Ces oppositions sont tout autant de positions qui situent l’individu ou le groupe face à son environnement physique, sociologique ou psychologique.

L’être humain serait donc composé de 23 paires de chromosomes et de 24 paires de mythèmes!
Face au risque diffus, à la confusion des genres, à quoi se raccrocher? A ces histoires qu’on nomme des mythes et que beaucoup croient vraies…depuis longtemps.

Le storytelling n’est donc pas un mot de plus dans l’univers sémantique du marketing mais l’expression d’une triste réalité, celle du renouveau de “la fabrique de l’ennemi”, le jeu préféré des êtres humains dès qu’ils ont peur ou se croient en danger…

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La fabrique de l’ennemi. Comment réussir son storytelling Ed. Vuibert

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[1] Georges Lewi. La fabrique de l’ennemi. Réussir son storytelling.(Vuibert novembre 2014)
[2] Discours prononcé le 16 novembre
[3] Happiness factory, titre d’un film publicitaire de Coca-Cola en 2007.

Publié par G. Lewi

Une réflexion au sujet de « Article sur “la fabrique de l’ennemi: construire son storytelling” dans le Huffingtonpost »

  1. Les logiques dualistes sont effectivement en pleine expansion.
    Ce n’est pas une raison pour tout réduire à la dualité, et la promouvoir ! Le storytelling est d’abord un mode d’expression, très ancien, et il dépend à la fois de l’environnement dans lequel il crée des récits et de l’intention des locuteurs. A ce titre il peut aussi tendre vers le ternaire et l’universel, dépasser les oppositions bêtes et méchantes, faire comprendre la complexité et transformer la réalité. les mythes sont de bons exemples : tout se joue dans la transformation qu’ils opèrent !

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