La mythologie au secours de la différenciation marketing

Et si le détour par la mythologie et les grands archétypes universels était la meilleure façon pour les marques de se remettre sur le chemin de l’efficacité ? Dans un contexte où la différenciation fait tant défaut, pour les produits comme pour les discours des marques.

Sur ces dix ou quinze dernières années, quels sont les changements majeurs quant aux règles du jeu pour les marques ?

On pourrait dire à la fois que tout a changé, et que rien n’a changé…

Rien n’a changé, parce que la marque reste ce qu’elle a toujours été : un repère mental sur un marché. En quoi les produits ou les services de la marque sont des repères sur le marché ? Qu’est-ce qu’ils ont de différents, de mieux ? Le marché étant le nombre de consommateurs potentiels solvables pour le produit en question. Ferrari a des millions de consommateurs putatifs, mais le critère de solvabilité réduit sacrément la taille de cette population, tout en élevant singulièrement sa moyenne d’âge ! Et il s’agit bien d’un repère mental : en quoi la marque crée de la différence, au-delà des qualités intrinsèques du produit générique. Autrement dit : quelle valeur est associée à la marque, et quelle image première, quelle que soit la nature de celle-ci.

Qu’est ce qui a changé alors ?

Il y a dix ou quinze ans, les marques étaient en « statut », en logique descendante vis à vis du consommateur. Il y avait vaguement des points de rencontre, mais les marques faisaient plus mine d’écouter qu’autre chose. Aujourd’hui, tout le monde est sur le même plan, et cela change tout. La marque est un « copain » ou un « ennemi » comme un autre… N’importe quel individu, au fin fond de l’Ohaio ou de l’Ardèche peut faire autant de mal à la marque –sur sa capacité à créer de la valeur- que ne peut le faire le directeur marketing qui prendrait une mauvaise décision. Un mauvais commentaire sur un site internet puissant, qui stigmatise une défaillance de la marque, même petite, crée une verrue dont la marque ne peut se débarrasser.

Bien sûr, on peut considérer vis à vis de ces commentaires qu’il faut en prendre et en laisser. Mais les entreprises sont tétanisées face à cela, et cela crée un grand frein à l’audace, et donc à l’innovation, et donc à la différenciation…

 Est-ce qu’il n’y a pas aussi un phénomène de saturation des consommateurs en tant que récepteurs de messages.

Oui, mais c’est un peu la conséquence de cette manque de différenciation des offres et des discours… Avec la difficulté à faire des produits différents, remarquables dans un contexte de prudence généralisée.

 Qu’est ce que les marques peuvent faire face à cela ?

L’idée est de retrouver une façon de se différencier, toute la difficulté étant que les produits se ressemblent beaucoup, et que les entreprises essaient de préempter les mêmes 8 ou 10 grandes valeurs : innovation, expertise, proximité clients, souplesse,… Ce qui est formalisé aujourd’hui dans les plateformes de marque ne permet que rarement de générer la différence nécessaire.

Ce qui m’amène à cet angle de la mythologie. Dès que l’on regarde cela d’assez près, on découvre que toute entreprise a un mythe fondateur, avec des périodes héroïques et des épisodes critiques. Elle a sa propre mythologie, qui s’inscrit dans un fonds commun universel comme l’a montré Jung. Ma conviction est que les entreprises et les marques se mettent en position forte lorsqu’elles s’approprient leur mythologie : celle-ci est porteuse à la fois d’une grande singularité et d’une grande cohérence d’action. Ce qui n’a pas de prix !

On puise donc dans la mythologie universelle et les grands archétypes.

Exactement. La mythologie, en 2 mots, c’est ce qui permet à l’homme de comprendre le monde dans lequel il vit. C’est sa fonction. Les dieux ont été inventés pour que les hommes comprennent qu’ils font face à des forces qui les dépassent, et pour les aider à se situer par rapport à elles. C’est ce qui a produit les grands archétypes. Si l’on prend les grandes divinités gréco-latines par exemples, chacune d’elles est représentative d’une grande force avec laquelle l’homme doit vivre. Ces grands archétypes sont présents dans l’esprit des gens depuis dix mille ans. Une fois que l’on applique cela aux marques et aux entreprises, cela devient très intéressant. Parce que vous refaites du conscient sur ce qui est de l’inconscient à la fois dans l’esprit des collaborateurs et des consommateurs.

Peut-on prendre quelques exemples ?

Bien sûr. Prenons déjà simplement la notion de masculin et de féminin, qui est quand même le grand archétype. A l’origine, le monde est féminin. C’est Gaia, c’est la terre. Puis arrive le masculin avec Uranos, le ciel, qui est à la fois le fils et l’amant de Gaia. Vous connaissez l’histoire… Là où je veux en venir, c’est que dès l’origine, il y a deux types de population : une population sédentaire plutôt féminine et pacifique ; et une population masculine de chasseurs, de nomades et de guerriers. La première population a intérêt à avoir la patience de la culture, la seconde utilise les étoiles pour se guider dans la conquête de nouveaux territoires et de nouvelles richesses.

Et il y donc une vraie question à se poser pour les marques et les entreprises (et qu’elles se posent très peu…) : celle de savoir si elles sont féminin ou masculin. Par exemple, SFR est masculin, et Orange féminin, c’est très clair. Et les entreprises qui ne sont ni l’un ni l’autre doivent se déterminer à un moment ou à un autre, sinon les consommateurs décideront. Bouygues est encore un peu une marque asexuée, enfant. C’est peut-être pour cela que beaucoup de ses offres s’appellent néo !

Donc une marque efficace ne se contente pas de raconter une histoire : elle raconte son histoire ?

Exactement. Parce qu’une marque est un point de vue donné au devant du public, auquel celui-ci adhère ou pas. Elle est le héros d’une histoire, avec le point de vue que lui donne la mission qui est la sienne. Elle comprend sa mission, qui découle du sens qu’elle donne au monde. Et plus spécifiquement à la catégorie de produit dans laquelle elle inscrit son action.

Cette notion de « mission » fait la boucle avec ce que l’on définit classiquement dans une plateforme de marque…

Oui, mais le passage par les archétypes et la mythologie donne une tension intéressante, et permet de sortir de cette situation où toutes les marques disent peu ou prou la même chose, en agitant les mêmes grandes valeurs. On est plus proche de la notion d’ADN, avec une valeur centrale et l’archétype qui se cache derrière.

Donc les marques doivent définir leur plateforme, avec le récit qui leur est propre…

C’est cela, on est bien dans le storytelling. Mais la difficulté est de ne pas obtenir une histoire artificielle, mais quelque chose de tout à fait cohérent avec la réalité de l’entreprise et de son passé. Faute de quoi l’on n’obtient rien d’efficace. Cette cohérence doit être assurée en tenant compte du regard du consommateur, mais aussi des perceptions et du vécu des collaborateurs eux mêmes, qui ont une expérience intime et authentique de l’entreprise. C’est pour cela qu’il y a un réel intérêt à ne pas raisonner que sur la marque, mais plus largement sur l’entreprise elle-même, qui a de plus en plus valeur de caution pour la marque

C’est un phénomène nouveau ?

Dans une large mesure oui. Aujourd’hui, la lessive Le Chat signe avec l’indication « Qualité Henkel ». Au dos des produits Unilever, il y a désormais la mention U. Ce sont des pratiques que les marques se sont interdites depuis plus d’un siècle ! Et elles ont l’avantage de donner plus de marge de manœuvre aux marques, de leur permettre d’être plus plastique, opportuniste.

Dit autrement l’entreprise devient la super-marque ?

Oui, c’est cela : une sorte de méta-marque et de caution. Et on reboucle avec quelque chose qui m’est cher, qui est la notion d’architecture des marques. Une marque seule, cela ne fonctionne pas. Apple n’est pas qu’une marque. Elle est d’abord une entreprise. Ce n’est absolument pas neutre. Cela signifie que derrière les produits, il y a des gens, qui cherchent la simplicité, qui ont des valeurs bien précises qui les guident. Ce n’est pas par hasard s’il y a des rituels si importants dans les entreprises de la Silicon Valley. Ce n’est pas par hasard si Apple a recrée des temples avec les Apple Store. Une marque mondiale comme Apple pourrait très bien s’en passer si elle ne raisonnait que purement du point de vue de l’efficacité de la distribution, d’autant plus que c’est un système couteux, avec une présence humaine impressionnante. Mais on est bien dans l’entretien de la mythologie, avec des temples qui relient les gens dans la même « adoration », avec des prêtres et des prêtresses à disposition du public. Ils font tout le contraire de la plupart des marques, qui sont à la recherche de la moindre économie possible.

Yves Krief, dans un de nos précédents dossiers, évoquait la notion de programme interne de la marque, et son autonomie.

Le point de vue que je défends, c’est que l’histoire, la parole qui raconte est toujours plus forte que la parole qui démontre. L’histoire se mémorise plus que le programme. Les gens mémorisent toujours plus facilement les anecdotes. Et au fond la mythologie, ce n’est que cela : mythos, c’est le récit, la légende.

L’idée commune est néanmoins que l’efficacité repose sur la connaissance, et même sur le « connais-toi toi même »

Absolument. C’est la seule vérité. Ce qui est frappant en effet, c’est la capacité qu’ont les consommateurs à formuler l’histoire, le storytelling originel. Les marketeurs oublient parfois l’histoire de la marque ou de l’entreprise, trop occupés qu’ils sont à lancer le prochain produit, mais les consommateurs en ont une vision très claire. Donc il faut les écouter. Et ne pas avoir ni honte ni peur de son histoire.

En l’occurrence, il faut que les marques ou les entreprises se réapproprient la grande histoire qui se cache derrière leur petite histoire. Et il y a des méthodes pour cela parce que les archétypes existent. Et on voit à partir de cela ce qu’attend le public, avec parfois sa déception si la marque n’est pas cohérente avec cette histoire.

Il y a des exemples flagrants de marques qui ne sont pas cohérente avec leur histoire, leur mythologie ?

Quand Air France vient sur le marché du low cost, par exemple, je ne suis pas certain qu’elle soit bien en ligne avec son histoire. Il y a aussi l’exemple de Renault, qui me semble se focaliser sur la segmentation du marché au point d’oublier son point de vue. Ce qui est toujours ennuyeux quand on fait un métier d’industriel, avec la longueur des cycles de développement et donc l’inertie que cela suppose. Passés les 50 ans d’après guerre, son concurrent Volkswagen me semble au contraire en train de réaffirmer son histoire. Dans un tout autre domaine, Levi’s semble avoir des difficultés : elle a suivi le courant fashion, et se retrouve dépossédé de son origine même, le courant worker qui est justement en train de revenir très fort…

A vous écouter, les marques ont en tout cas beaucoup d’avenir ?

Absolument. L’esprit humain a trop besoin de donner des noms à ce qui est important, et de se raccrocher a des histoires. C’est ce que dit très bien d’Ormesson dans son dernier livre : l’humanité à passé son temps à inventer des religions !

 

Publié par G. Lewi

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